mardi 21 octobre 2014

L'Art du Toreo (I)


" Il est bien étrange d’entendre les aficionados se lamenter sur l’état actuel de la fiesta. Moi je leur dirais : Mais comment pouvez-vous vous en étonner ? Croyez-vous que cette situation est née par génération spontanée ? Non, Messieurs : elle a eu son évolution, et vous avez dans cette évolution une grande responsabilité. Je dis : une grande responsabilité, parce qu’il ne serait pas juste de vous l’attribuer tout entière. Mais en vérité, je ne sais s’il existe aujourd’hui des aficionados. En tous cas, s’ils existent, ils se sont laissés emportés par la masse. Sûrement parce que la vie comporte des problèmes plus importants que l’aficion, même pour les plus passionnés. Mais laissons : cette erreur non plus ne date pas d’hier, à mon avis, mais de quelques trente ou quarante ans.

Je tiens les aficionados pour coupables, parce qu’ils n’ont pas été conséquents avec eux-mêmes dans leurs convictions ; probablement parce qu’ils ont pris parti pour des personnalités de toreros, mais que jamais ou presque ils n’ont pris conscience des bonnes règles de l’art du toreo. S’ils avaient connu ces règles, ils n’auraient pas passé tant de mauvais moments ni dépensé tant d’argent aux arènes, sans veiller au maintien et à l’intégrité du toreo… 
[…] Les aficionados portent une grande responsabilité, parce qu’ils ne sont pas restés fidèles à la règle classique : Para, Templar, Mandar.

A mon avis d’ailleurs, cette formule devrait se compléter ainsi : Parar, Templar, Cargar, Mandar. Il se peut en effet, que, si le mot « charger » s’était ajouté aux trois autres depuis le moment où ils sont passés à l’état de règle, le toreo n’aurait pas dévié autant qu’il l’a fait. Mais je pense aussi que l’auteur de cette formule ne croyait pas nécessaire d’ajouter ce mot, car il devait savoir très bien que, sans charger la suerte, on ne peut « mandar », et que, par conséquent, ce dernier terme incluait les deux idées.
Il est bien entendu que charger la suerte ne consiste pas à ouvrir le compas : en ouvrant le compas, le torero « allonge », mais « n’approfondit pas ». La profondeur, il l’atteindra en avançant la jambe par devant, et non pas par le côté.

Parar, Templar, Mandar ? Les mots ne sont rien : ces idées se confondent tellement ! La majorité croit que parar, templar et mandar, c’est attendre que les taureaux viennent se jeter sur la cible, sans que le torero fasse un geste : c’est une erreur. Parce que si l’on « pare », on ne peut ni « templar », ni encore moins « mandar ». C’est quand les taureaux ont le plus de puissance qu’ils exigent l’application de ces trois règles. Et il est bien curieux qu’aujourd’hui, où, d’après tant et tant d’aficionados, on torée mieux que jamais, il y ait bien peu de taureaux qu’on torée de cape. Pourquoi donc, si vraiment on toréait mieux que jamais ? Mais c’est très simple : parce qu’on a abandonné la conception qu’expriment ces règles. Par conséquent, on ne torée pas, on donne des passes. Ça oui, beaucoup de passes ! "

Domingo Ortega 

Extrait de l'Art du Toreo - Conférence prononcée à l'Athénée de Madrid le 29 mars 1950

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