mercredi 29 avril 2015

Ruminococcus ?

Une vue du dedans

Ça vous fait penser à quoi ? 
Il s'agit d'une bactérie  qui vit en symbiose avec nos amis bovins et qui lui permet de digérer la cellulose. Le rumen, la panse, s'est étendue progressivement,  accueille toujours d'avantage de bactéries et augmente ses chances de survie, car, tenez-vous bien, le taureau n'est pas équipé génétiquement pour digérer la cellulose.
Tout connaitre dans le détail, il est comme ça l'aficionado français, érudit.
Capable d'approfondir, d'accumuler des connaissances, empiler des magazines, des affiches, des vieux bouquins, des billets, du sable des ruedos ou des prospectus.  L'aficion, cette marotte sérieuse qui consiste à collectionner des savoirs plus ou moins utiles confinant à la manie et qui nous rend sympathiques.

El Ubano

NB : A découvrir au chapitre biologie du numéro 10 d'une étonnante revue de culture générale qui se nomme "L'éléphant".

jeudi 23 avril 2015

Welcome Lindbergh


Dans le hangar d’une ancienne conserverie de poisson de San Diego, Lindbergh s’obstine pendant des heures et des heures à faire démonter puis remonter le moteur de son avion. Quand les gars en charge de la construction du Spirit of St. Louis lui demandent pourquoi il s’acharne de la sorte, celui qui n’est encore qu’un obscur rêveur rétorque : « Parce que je ne sais pas nager ».
On est en 1927 et, quelques semaines plus tard, c’est un aviateur anonyme, maniaque et taiseux qui décolle de Long Island. Trente-trois heures et trente minutes plus tard, c’est un héros qui atterrit au Bourget.

En décembre de cette même année, faisant fi des admonestations des animalistes déjà cités en bonne place dans les reseñas de l’époque, Lindbergh assiste à une corrida organisée en son honneur à la plaza de toros « El Toreo » de Mexico. 

Dépucelage taurin en grande pompe : abondante ovation pour l’aviateur dont le nom apparait sur le ruedo, cartel de choix, soleil et jolies pépés sont au rendez-vous. Las, la bonne volonté du Niño de la Palma et le capote créatif de Pepe Ortiz face aux très mexicains taureaux de La Laguna n’ont pas fait chavirer Lindy. Il faut dire que sur les questions de l’adversité, du pundonor, et des sorties a hombros, il en connait un rayon le garçon…

Pour se voir brinder un toro et offrir un capote de paseo par Pepe Ortiz, Lindbergh avait volé plus de vingt-sept heures d’une traite entre Washington et Mexico et aguanté quelques avatars… « Il descend de la côte est du Texas, avant de s’engager dans la vallée de Mexico, mais il constate qu’il n’est pas au bon endroit. Trompé par une mer de brouillard, il a dévié de sa trajectoire. Comme il se réfère à une carte rudimentaire, il ne trouve aucun repère. Il sillonne le ciel pendant des heures avec l’espoir de détecter des voies ferrées qui coïncideraient avec celles figurant sur sa carte, puis, faute de mieux, se résout à suivre des rails à une altitude suffisamment basse pour lire le nom des gares. La fatigue finit par l’égarer autant que l’absence d’indications. U instant, il croit identifier un village grâce à une pancarte signalant « Caballeros », puis il réalise que ce terme mexicain signifie « toilette pour hommes » ! Puis, au-dessus d’une ville, il réussit à lire « Hotel Toluca ». Or, Toluca apparait sur sa carte et se situe à environ 45 kilomètres à l’ouest de son but, l’aéroport Valbuena où, en cet après-midi ensoleillé, l’attendent avec une impatience délirante cent cinquante mille personnes, dont la plupart ont passé la nuit sur le terrain et ses abords. »* 

Quand on lui a demandé ce qu’il avait pensé de la course, l’aviateur a laconiquement répondu « Well, I have seen things I enjoyed more ».

Zanzibar 

* Source : Lindbergh, l’ange noir de Bernard Marck

lundi 20 avril 2015

Tabac béarnais pour Pedraza

L'effroi

Ce n'est pas tous les jours fête. Il pleut même parfois. Ou bien les gens sont à la plage... Qu'importe, hier, jour de sainte Emma, à Garlin, Pedraza de Yeltes écrit encore une  page glorieuse. Petit ruedo  mais grande novillada. Les gradins sont remplis, le soleil réapparait et pas le plus petit manso à l'horizon, seulement la bravoure, la caste  et la solidité.

Dans ces arènes, en 2014, le lot nous avait paru un peu poussif. Celui de cette année va légitimement rafler des prix.
Les novillos ont rencontré dix-sept fois les chevaux (six puyazos, neuf puyas, un refilon, un contact au cheval) en poussant dans la plupart des cas. Mieux, ils ont été complets avec des nuances (noble le premier, très bon le second, presque pastueño le troisième, encasté le quatrième, un poil de genio au cinq et très sérieux le dernier). Lot de novillos gaillards et bien faits, trois colorados, deux noirs et un castaño sucio.

L'opposition s'entreprit à bien faire et à s'appliquer aux piques ; avec des résultats plus ou moins heureux :
- Jesus Enrique Colombo : correct à la cape et bien au banderilles, il a peiné le reste du temps. Il fut interminable et à la marge avec le noble premier (pinchazo et contraria) puis manqua d'esprit de décision à son second qui se décomposa d'ennui (ladeada).
- Alejandro Marcos : ne trouva pas le sitio au premier, ils furent neuf en piste au moment du changement de tercio, un peu dépassé sur les deux mains (estoconazo et descabellos) puis gravement  baladé au second qui lui infligea une rouste (pinchazo puis tendida et descabellos).
- Joaquin Galdos : triomphateur de la tarde, novillero averti, avec aguante et toreria, peu de déchets, concis, (épée de côté au premier) oreille, (puntazo au muscle en pinchant et caidita) deux oreilles et sortie en triomphe.

Salut du mayoral.

Le ruedo de Garlin est petit, les lignes au sol sont inutiles, le président oublie les avis, parfois la musique arrive bien tard, une pointe astillée, quatre arrangées... mais on sort de là avec la foi du charbonnier, le sang fouetté et l’œil brillant.

El Ubano

samedi 18 avril 2015

La Unión Mexicana de Picadores y Banderilleros - A l'origine (Part4)


Précédemment dans « La Unión Mexicana de Picadores y Banderilleros - A l'origine » 
Román "El Chato" Guzmán et Saturnino Bolio "Barana", respectivement banderillero et picador de renom, ne supportent plus les humiliations et les mauvais traitements que les matadors et novilleros réservent à leurs subalternes. A partir de 1927, ils n’ont qu’une idée en tête : fonder un syndicat qui défendrait les intérêts de leur corporation. Ils savent que la tâche sera longue et rude mais ils ne manquent ni de courage ni de volonté.

Pendant plusieurs années, les discussions avec le collectif des subalternes adhérents au projet n’ont pas cessé. Pour  Guzmán et Bolio, un jour sans toréer est un jour consacré aux pourparlers, à la négociation et à la planification de la création de l’Union. Les jours où ils toréent, les anecdotes tragiques s’accumulent…

Leur compañero Eugenio Cuevas est gravement blessé à Veracruz : cornada grave et fracture de la jambe gauche. Une fois de plus, le blessé est « abandonné » par son patron et les infortunés subalternes connaissent à nouveau le calvaire d’un long trajet jusqu’à Mexico avant de se réfugier chez le bon Docteur Ortega qui, comme à son habitude, a gracieusement soigné le malheureux Cuevas.

Peu après et dans un registre différent (mais pas moins insultant pour leur condition), ils passèrent également un mauvais moment à Mérida. En arrivant là-bas pour y toréer, El Chato et Barana ont aperçu tout un tas de gens munis de caméras et d’appareils photo. Les prenant pour des touristes, ils ne s’en sont pas plus inquiétés que ça jusqu’au lendemain matin où l’apoderado de David Licéada, le matador au service duquel ils travaillaient la veille, vint les voir et exigea d’eux qu’ils se vêtissent de torero. L’équipe de tournage (il ne s’agissait pas de touristes) devait filmer une scène taurine et ils devaient se rendre habillés de lumières à la plaza.
El Chato : Pourquoi nous habiller et aller à la plaza puisque notre engagement s’est terminé avec la course d’hier ?
Camacho (l’apoderado de Liceaga) : Parce que ce sont les ordres du matador !
El Chato : Dites-nous d’abord combien on va être payés pour s’habiller de torero…
Camacho (s’adressant uniquement à Barana) : Puisque Le Chato refuse de s’habiller, fais-le toi et viens à la plaza !
Barana n’a pas cédé et a confirmé que s’ils n’étaient pas payés, ils n’iraient pas à la plaza. Effectivement, aucun des deux n’apparait dans le film en question.
L’anecdote est moins dramatique que les précédentes mais la posture du matador vis-à-vis de ses subalternes est tout aussi offensante. La coupe était pleine et le projet d’association suffisamment ressassé pour être prêt à aboutir.

Dans la lettre que Román Guzmán adresse à l’ex-impresario Gaona à l’occasion de l’anniversaire de la Unión, se trouve un paragraphe dans lequel il affirme que c’est le 2 novembre 1932 à Morelia que la lutte a finalement vraiment commencé. C’est ce 2 novembre 1932, "jour des morts", que les subalternes ont symboliquement « tué » l’esclavage dont ils souffraient. Cette courte histoire mérite d’être racontée…

(A suivre...)

Zanzibar

mardi 14 avril 2015

Tuer n'est pas jouer


« Tant qu’il est encore possible d’entrer a matar, on ne doit pas tenter le descabello qui est le recours destiné à achever un taureau qui agonise debout, position dans laquelle l’intervention du puntillero n’est pas autorisée.

Dans l’acte de descabellar, le matador fait fonction de puntillero et rien de plus. Cette action, par conséquent, n’ajoute ni n’enlève rien à ce qu’il a fait auparavant. 

Qu’il soit réussi ou manqué, on ne doit siffler le descabello que lorsqu’il représente un truc pour ne pas entrer a matar quand on devrait le faire. 

Est-ce que le public se rend compte de la renonciation d’un matador qui, après avoir simplement donné une piqûre pour pouvoir dire qu’il est entré a matar, prend l’épée pour descabellar alors que le taureau est entier ? Il me semble que ce n’est pas à la bête qu’il va donner un coup de grâce mais à l’art et à la science tauromachique. 

Ce n’est pas une action de tauromachie, c’est une pratique d’abattoir. En agissant ainsi, le matador révèle des instincts de garçon d’abattoir. » 


Grégorio Corrochano – ¿ Que es torear ? (Madrid, 1966)

vendredi 10 avril 2015

Les yeux des autres

Parfois, les hasards du guichet t’imposent son voisinage. Au sorteo de la taquilla, tu es tombé sur le "Tendido 6 - Fila 17 - N°42". Le billet n'est pas plus bavard que ça et ne te garantit rien d’autre qu’une place au soleil.

Quand elle arrive précipitamment et s'assoit, tendido 6, fila 17, place 43, tu flaires quelque chose de louche : rictus tendus ou trop grands sourires, conversations sibyllines ou sms en rafale, retenue anxieuse ou applaudissements démonstratifs au moment du paseo, les yeux partout et souvent sur toi, pour vérifier si toi aussi tu applaudis, ou pas. Il y a un je-ne-sais-quoi d'excessif dans ses gestes ou ses non-gestes qui fait que tu sais, avec certitude, qu'aujourd'hui cette dame n'est pas ici pour les mêmes raisons que toi.
Sonnent les premières clarines… Elle est très concentrée. Elle ne regarde pas vraiment le toro, elle ne regarde pas vraiment sa lidia, d’ailleurs, on ne peut pas dire qu’elle regarde vraiment la course. Elle regarde son bébé se jouer la vie. C'est la maman du torero.
A côté de cette femme qui tente d'écarter la menace de la corne meurtrière d'un coup d'éventail compulsif et qui n'a que ses applaudissements aussi dérisoires que frénétiques pour supplier son enfant de briller sans mourir, tu te sens gêné. Alors, par pudeur, par respect, par crainte d'une réaction irrationnelle, et aussi parce que tu n’as pas la possibilité de changer de place, tu acceptes, le temps d'une course, de te frotter à cet amour incurable, tu fais une grosse boule avec tous les flocons de fierté véhémente et de terreur viscérale que ta voisine éparpille autour d'elle. Et tu avales cette grosse boule dans le secret espoir de ne jamais revivre une si indigeste expérience. 

Javier

A Madrid ce jour-là, mon voisin était déjà vissé au gradin quand je me suis installée. Au paseo il a sorti sans complexe ni ostentation ses amulettes et ses grigris. Ensuite, il a figé son regard impatient sur le toril et s'est signé presque calmement avant de dire une prière à mi-voix. 
Les  six Palha sont sortis avec du genio, robustes, et très compliqués. Le jeune homme à mes côtés est terriblement concentré, il réagit avec assurance et discrétion mais parait bien trop impliqué dans la course pour être un spectateur comme les autres. Comme s’il était saturé d’afición, de tension douloureuse, et voyait quelque chose de plus que nous autres… Le fils du ganadero ? 
Il regarde intensément l'homme et le toro, ne méprisant ni l'un ni l'autre, ni ne glorifiant l'un ou l'autre dans ses réactions. Il remet le combat au centre. C’est étrange, on dirait qu’il regarde avec le ventre... et qu’il respire avec les yeux. D’ailleurs, par moment, comme pour reprendre une goulée d'air, il se tourne vers sa voisine de gauche, une belle brune aux yeux sévères, aux talons très hauts et au sourire bien rouge. 
Tout d’un coup, l’alimaña sortie en 4 avertit très dangereusement le torero. Plus personne n’ose respirer. Mon voisin lui se cache les yeux et se recroqueville pour ne pas voir l’homme se replacer, exactement au même endroit, et recommencer le même geste, en l’améliorant. Ça passe. Mon voisin, cet aficionado pas comme les autres, explose en une douleur triomphante, ou plutôt en un triomphe douloureux, enfin, un truc dans ce genre-là...

A la fin de la course, Javier Robleño a pris la fille aux prunelles noires par la main, il m'a saluée en s’excusant, je crois, de m’avoir embarquée dans sa tourmente, il a regardé vers le toril et puis il a souri dans le vide. Après quoi, il est allé retrouver son frère. 

Zanzibar