vendredi 31 octobre 2014

Les toreros de Las Ermitas


Pour Nina et ses vieux

En vous mettant un peu derrière la croix, face au soleil et en plissant bien les yeux, vous les verrez peut-être. Il est même possible qu'en tendant bien l'oreille vous les entendiez tous les deux :
- Dommage que tu n'aies pas pensé à offrir un peu de caña de lomo à la Vierge. Allez, donne du vin à l'assoiffé ! 
- Ne blasphémez pas. 
- Les toreros, vous n'avez pas d'humour. A ta santé ! 

On est à Las Ermitas, dans le désert de Nuestra Señora de Belén, à quelques kilomètres de Cordoue. C'est là, juste à droite de la croix, sur le fauteuil de pierre, que Padre Camprecios aiguise son couteau et s'en jette un derrière la cravate juste avant de remettre Juncal* à sa place dans une des scènes les plus savoureuses et emblématiques de la série. 

On peut arriver ici en voiture mais les toreros, eux, arrivent à pied, par la Cuesta del Reventón. C'est une coutume immuable qui se perpétue en silence : tous les jours, les toreros viennent courir à Las Ermitas. Quand je dis "les toreros", je ne veux pas dire Morante de la Puebla ou José Maria Manzanares, non. Je parle de ceux du coin. De tous ceux du coin. Des novilleros sin picar qui ont presque mon âge ou d'obscurs banderilleros retraités qui ont connu leur minute de gloire dans les années 80-90 du côté de la Valle del Tiétar ou dans quelques villages de frontière. Je veux aussi parler de matadors en activité mais à la barbe drue en plein été (c'est que, voyez-vous, ils n'ont pas de contrat toutes les semaines alors, se raser n'apparait pas indispensable). Juan Luis Torres, par exemple. Ce jour-là comme tous les autres jours, Juan Luis court jusqu'à Las Ermitas, pour garder la forme, et parce qu'on ne sait jamais, on est mi-septembre, les blessures sont fréquentes à cette époque, et il faut être d'attaque pour ne pas passer à côté d'une improbable substitution. Arrivé au panteón, il fait une pause pour nous parler de la course de Juan luis Fraile qui est sortie en août à Cenicientos et "qui ne lui a pas permis de couper". Mais il garde espoir, il s'entraîne, et il continuera à venir courir tous les jours ici, comme le veut la tradition, comme le font tous les vrais toreros...

Dans ma grande innocence (et mon amour inconsidéré pour Juncal) j'ai naïvement supposé que ladite tradition datait de 1989 (année de diffusion sur TVE de la série dédiée au vieux maestro). Que nenni ! Les anciens racontent qu'ils ont vu Manolete trottiner vers les ermitages et les plus anciens (qui sont morts maintenant mais qui l'ont affirmé très fort de leur vivant) ont vu courir ici Machaquito, Guerrita et même Lagartijo !

 
Zanzibar

* Ceux qui ne connaissent pas Juncal peuvent faire sa connaissance ici et ici.

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