dimanche 9 novembre 2014

L'Art du Toreo (II)

"La conséquence de l’abandon de ces règles [les règles classiques qui sont la pierre fondamentale de tout le toreo : parar, templar, mandar], c’est que le toreo a été réduit de moitié ; on lui a enlevé sa part la plus belle, celle qui passe avant tout, celle que j’appellerai « le blanc de poulet du toreo ». Dans cette part, le torero affronte le taureau en lui tendant la cape ou la muleta tenue devant soi ; à mesure que le taureau entre dans le terrain de l’homme, celui-ci va s’adaptant à l’élan de la bête, s’appuyant sur la jambe contraire, en même temps qu’il avance celle-ci de face ; c’est-à-dire détournant le taureau en même temps que l’homme atteint à la profondeur. Tout ceci, à mon avis, naturellement.

Certes si l’on s’en tient seulement au côté visuel, un torero peut s’écarter des règles classiques s’il possède une forte personnalité, ce qui peut se produire pour mille raisons : sa façon de marcher par exemple, ou encore sa façon de s’habiller, de se mouvoir, de rester immobile, bref, pour bien d’autres facteurs encore qu’il est inutile d’énumérer et qui lui permettent d’enthousiasmer les spectateurs, entraînés par la force de cette personnalité, bien que son toreo et les règles qu’il applique soient négatifs. C’est pourquoi il est indispensable de montrer aux jeunes générations de toreros qu’on ne peut pas copier les personnalités, parce que chacun a la sienne, et de le diriger dans le chemin des règles classiques. Sinon, nous en arriverons à ce que tout garçon qui veut être torero s’engagera dans les chemins tracés par ces toreros de forte personnalité.

Un torero dont la formation a été positive a besoin de cinq ou six années d’alternative pour arriver à la maturité de son art ; au contraire, même les plus doués de ces jeunes gens-là, au bout du même délai, n’arriveront qu’au résultat inverse : ils n’auront pas avancé d’un pas, et les taureaux (attention : je parle de TAUREAUX) les tiendront en leur pouvoir. Et dans ce cas, ce qu’il leur reste de mieux à faire est de renoncer à la profession.

Il faut insister, il faut faire tout ce qui est possible pour que les nouvelles générations prennent le bon chemin. Nous devons croire que les hommes d’aujourd’hui ont autant de valeur et autant d’intelligence que ceux d’hier. Par conséquent, si l’atmosphère est créée, nous aurons déjà la base. Mais il faut aussi, et absolument, être intraitables sur le sujet des règles. J’ai vu, ces dernières années, quelques jeunes doués de grandes possibilités, pour avoir suivi les règles classiques : ils possédaient la taille, la valeur, l’aficion, la volonté de réussir. Mais l’atmosphère du public et des aficionados ajoutée aux résultats économiques, les a enveloppés. Tout cela et, naturellement, la plus grande facilité qu’ils y trouvaient, les a poussés à prendre le chemin le plus commode…"

Domingo Ortega

Extrait de l'Art du Toreo - Conférence prononcée à l'Athénée de Madrid le 29 mars 1950

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