jeudi 4 décembre 2014

L'Art du Toreo (III)


"Mais il faut parler un peu du taureau. Souvent, en sortant des arènes, on entend les aficionados commenter la bravoure de la corrida, sans penser qu’il est très difficile de voir, non pas même une corrida brave, mais un taureau vraiment brave. Sur ce sujet, nous-mêmes, éleveurs, nous trompons énormément, et nos erreurs viennent de ce que nous ne voyons pas les choses comme elles sont en réalité : cette réalité, c’est qu’il est contraire à la nature que le taureau soit brave, au degré et au sens où nous entendons ce mot pour la corrida. A mesure qu’il grandit, son instinct de défense s’accroit, car il doit apprendre à attaquer et à se défendre dans ses batailles avec ses propres compagnons ; et c’est là le danger des taureaux qui ont dépassé leur cinquième printemps. C’est à ce moment qu’atteignent au maximum leur intelligence ou leur instinct, et par conséquent leurs manies et leurs connaissances, donc, leurs difficultés pour le torero.
Nous, éleveurs, partons d’habitude de cette erreur, selon laquelle tous les taureaux ou presque, chargent : et bien ! c’est justement le contraire.

[...]

Étant donné leur manque de sélection, les taureaux (je parle en termes généraux) constituent un très vaste monde au caractère varié. A beaucoup de taureaux – je parle de TAUREAUX – il faut apprendre à charger. Pour cela souvent il faut que le torero montre au taureau qu’il a peur : il doit fuir pour donner confiance à son adversaire. Mais attention ! Fuir peu, sans quoi nous en arrivonsà ce que vous avez pu observer souvent : c’est qu’un taureau se jette inopinément sur un peon qui se trouve mal placé, c’est-à-dire à l’endroit où le taureau voit la sortie la plus facile. Alors, le peon n’a pas à demander son reste. Il est d’ailleurs curieux de voir que lorsque ce même peon rentre dans la piste, dès que le taureau le voit, même si alors l’homme et bien placé, il recommence la même opération. C’est, naturellement, parce qu’il y trouve plus de facilité puisqu’il croit, non sans raison, que cet individu-là a peur de lui. Tout ce que pense le public, c’est que le taureau est pris d’une phobie, ou que la couleur du costume ne lui plait pas.

C’est là une chose de la plus haute importance dans le toreo : le torero doit le savoir, et il doit savoir qu’on torée AUSSI en fuyant. Bien sûr, tout cela est plus complexe qu’il n’y parait à première vue ; j’appellerais volontiers tout cela la « superrègle », c’est-à-dire la somme des bonnes règles. Mais bref, laissons ce problème…" 

Domingo Ortega 

Extrait de l'Art du Toreo - Conférence prononcée à l'Athénée de Madrid le 29 mars 1950

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