vendredi 17 janvier 2014

Au Palenque


Cartel de José Guadalupe Posada - 1905
Au Mexique, on va au palenque comme on va à la course de toros, sauf qu'à la place des toros il y a des coqs.

Dans les gradins, on rencontre des aficionados a los gallos qui fument cigarette sur cigarette sous les panneaux dédiés au Señor Évin du coin. Après une inspection mi-dédaigneuse mi-goguenarde de la touriste que je ne peux dissimuler être, une femme entre deux âges (mais plutôt vers celui du dessus) prend le temps de m’expliquer dans un brouhaha infernal ce qui se passe en bas, dans le mini-ruedo. Le combat de coqs est quelque chose de très sérieux, qui a ses règles et se doit d'être bien fait, comme à peu près tout ce qui se fait au Mexique d’ailleurs, y compris la fiesta.

De prime abord, ce qui se joue en piste parait relativement simple, voire familier. Il est question de terrains, de mansedumbre, de bravoure, de mort. Les vocabulaires s’amalgament aisément. Sauf au moment où j’évoque l’existence d’un éventuel coq de bandera. Ça, ça n’existe pas. Il y a des champions, mais pas de coqs invincibles. Cacucci avait raison *.

L’homme en gris qui parle avec tout le monde en bas vient de parier 200 000 pesos. Moi aussi j’aimerais bien parier. Mais pas autant. Disons… 200 pesos. Pas possible. C’est 500 pesos minimum. A ce stade de l’aventure, l’expérience des corridas ne m’est plus d’aucune utilité.

Ma voisine m’explique : je peux miser sur le rouge (le coq qui est à droite, entre les mains d’un monsieur qui porte une chemise bleue) ou sur le vert (le coq qui est à gauche, entre les mains d’un monsieur avec une chemise blanche). Je choisis illico le rouge. De beau plumage, il parait alerte et combatif, c’est le plus encasté des deux, aucun doute là-dessus. Je fais un signe à la nuée d’hommes et de femmes qui grouillent en bas en prenant les paris de tous les autres sans jamais me regarder. Ma voisine finit par me faire baisser la main de force en m’expliquant que ça y est, c’est bon, j’ai parié. Je reste interloquée jusqu’au moment où un gars apparait avec une souche de carnet rouge. Si le vert gagne, je perds. C’est écrit. Enfin, après de très longues minutes d’agitation, le combat va commencer.  Juste à l’instant où je quitte les protagonistes du regard, les deux coqs en lice changent de mains pour celles de leur soltador respectif (sorte de mozos chargés de libérer le coq). Maintenant, il y a un monsieur avec une chemise bleue et un autre avec une chemise verte. Ils portent chacun un coq mais je n’arrive pas à repérer le mien avec certitude. Ensuite, tout va très vite. Les deux gallinacés bondissent, les plumages se confondent, les deux s'écrasent à terre. L’un des deux est mort, l’autre vivant. J’ai perdu. C’est ma voisine qui m'annonce ça d’une voix tranquille.
Mon coq est mort et je ne m’en suis même pas rendue compte. Je ne suis vraiment pas fière. Ne jamais quitter le toro du regard, je le sais pourtant...

Quelques combats plus tard, je vais faire un tour dans le coin et m’égare dans une espèce de desolladero où trône un gigantesque taxidermiste (?) volailler (?) bien peu amène qui est en train de recoudre celui que je pense être "mon" coq. Je pose quelques questions au malabar-couturier qui n'a pas l'air d'entendre. Je demande en haussant la voix si je peux faire une photo et décide que le grognement qui suit a valeur d'assentiment. Pour rire, et quand même un peu vexée d'avoir perdu, je me dispose à lui demander s’il ne croit pas que les bookmakers mexicains sont un peu daltoniens. Il lève vers moi son œil torve. Ma remarque me parait assez peu spirituelle d'un seul coup. Je décide de la garder pour moi. De toute façon, je ne sais pas dire « daltonien » en espagnol.

Je traine encore un peu et, après avoir fait le tour des lieux, je me rends à l’évidence...
Au palenque, il n'y a pas d'infirmerie. Sauf à être très maladroit, aucun homme n'y risque sa vie.

Zanzibar

* Poussières Mexicaines de Pino Cacucci

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