
Faute de temps, les organisateurs n'avaient pu faire construire les arènes
avec tout le soin nécessaire, avec toutes les précautions indispensables et les
barrières de l'enceinte péchaient par leur faiblesse relative. C'est là qu'il
faut chercher la cause de l'accident survenu au début du spectacle et que nous
allons raconter brièvement.
A 2 heures 3/4, heure annoncée par l'affiche, comme « lever de
rideau », les gradins étaient pleins, archi-pleins, plus de 10 000 spectateurs
s'y pressaient, tant hommes que dames, tous plus ou moins émotionnés de
l'attente du « non encore vu ». Phœbus, le roi des aficionados, avait bien voulu présider, dorant le sable de l'arène,
caressant et chatoyant les velours et les soies, parures de nos élégantes,
rutilant sur les ors des costumes de toreador.
La fête s'annonçait joyeuse.
A 2 heures 50, après la Marseillaise, écoutée avec un petit frisson
patriotique, le président de la corrida
fait son entrée, tandis que deux alguazils,
tout de noir habillés, coiffés de bicornes à panache tricolore, pénètrent dans
le redondel, chevauchant de
magnifiques pur-sang. Le salut donné à la loge présidentielle, ces deux
brillants cavaliers retournent chercher la cuadrilla
dont voici le défilé solennel : alguazils
en tête, matadores suivants. Puis en
bon ordre, picadores, banderilleros, monosabios, areneros, carpinteros et les deux mules : le train
d'arrastre dont le rôle est de
traîner hors du redondel le taureau
mis à mort par l'estoc du matador.
La clef du toril est alors lancée
aux alguazils lesquels disparaissent
définitivement.

Mais voici la première suerte, la suerte de piques. Le picador s'avance au-devant de
la « brute », pour employer l'expression tauromachique, qui, inquiète, le
regarde sans bouger. Le cavalier s'approche toujours, cependant qu'un monosabio cherche à exciter le toro.
C'est
à ce moment que se produit l'incident. Romito pris soudain d'une folle terreur
se jette de côté, bondit sur la balustrade et dans un clan formidable s'abat au
milieu de la foule du promenoir.
On juge de l'émotion, de la panique qui s'empara du public ; des hommes, des
femmes sont renversés, piétinés. Le toro,
lui, un moment étonné de se trouver avec tant de monde, s'arrête, puis les
cornes basses se précipite vers la première ouverture qui s'offre. Un champ de
vigne borde les arènes, la bête s'y élance poursuivie par les matadores et les gendarmes qui sortant
le revolver de l'étui se livrent à des exercices de tir sur cible vivante. En
quelques secondes Romito, les jambes brisées, s'abat. Un matadore l'achève d'un coup d'épée au garrot.

Les choses en sont là. On nous promet la suite pour dimanche. L'aurons-nous
?
D'Estoc

Article publié dans Le Monde Illustré en 1857.
Les photographies sont de Borie, Gribayedoff et Gordoa.
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