dimanche 15 décembre 2013

Cagancho

Du temps des cigarettes qu'on ne fumait pas que dehors, il y avait un garçon qui s'appelait Cagancho. De son vrai nom Joaquín Rodríguez Ortega. Il était gitan, il était beau, et il était torero.

C'était du temps des chevaux qu'on arrastrait et des billets qu'on glissait dans le revers d'un chapeau lestement jeté sur le passage de l'espada ayant gagné sa vuelta.
Ça, c'était les bons jours.

Et des bons jours, Cagancho en a connu. Peu, c'est vrai. Très peu, même. Mais ce furent des jours d'apothéose. Ces jours-là, il parait qu'il était lidiador au capote, majestueux à la muleta et montrait une maîtrise parfaite du volapié (au grand dam du public qui en venait à souhaiter qu'il rate ses mises à mort rien que pour le plaisir de le voir refaire le geste avec cette pureté et cette lenteur dont lui seul était capable). 

Il lui fallait au moins ça pour se faire pardonner sa poltronnerie coutumière, ses fuites pitoyables, ses désastres à l'épée, et ... les quelques 32 fois où il a fallu ouvrir la porte du toril pour y faire rentrer ses toros vivants.
Ça, c'était les mauvais jours. 

On le dit rustre et superstitieux. Ça ne l'empêchait pas d'entretenir de fréquentes relations avec les gouverneurs de province des plazas dans lesquelles il officiait (les uns le sortaient de prison pendant que les autres le menaçaient de bannissement) et avec la Guardia Civil qui se déplaçait en masse pour le protéger du lynchage des aficionados chez qui ses défaillances réveillaient les plus vils instincts (il lui est arrivé de se claquemurer dans l'infirmerie protégée par 25 carabiniers en attendant que l'émeute s'apaise).
Ça, c'était les très mauvais jours.  

Parfois, la tourmente de la peur (peur du public, peur du toros ou novillo ou becerro, peur de "la bête verte"), cette tourmente était telle qu'il ne se présentait tout bonnement pas au paseo.
Ça, c'était les jours sans.

Malgré tout ce que ça implique de tardes désastreuses, je rêve de connaître un torero pareil. Un qui ressemble à Cagancho, ou à Curro Romero, ou à Rafael de Paula.
Bien sûr, on a celui de La Puebla qui peut sur une lidia vous marquer l'aficion au fer rouge, mais il lui manque la démesure de la débâcle.
Ou alors c'est qu'on ne sait plus honorer les toreros d'une vraie bronca.
Ou alors j'étais pas là. 

Cagancho a été un très grand torero, rarement capable de lutter contre sa peur, et pas plus souvent contre les toros. Ses échecs retentissants n'avaient d'égal (en qualité) que ses extraordinaires triomphes. Pour ne rien gâter, il était évidemment fantasque et déraisonnablement généreux.
C'était du temps des légendes qui se fabriquaient sans l'aide de la télé.

Cette histoire est racontée dans le livre "Cagancho - Créateur d'irréel" de Louis-Gilbert Lacroix aka Luis de la Cruz. Elle est complétée par les anecdotes mexicaines de Ignacio Garciadiego.
Le livre est édité par l'UBTF. Classieux, forcément.
Le texte est en français et en espagnol.
Les illustrations parlent d'elles-mêmes.

Zanzibar

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