mardi 4 février 2014

Corridas d'enfants

" Habituellement, les grandes personnes n'intervenaient pas dans les préparatifs de ces corridas enfantines. La cuadrilla se formait plus ou moins vite, dans le feu de discussions auxquelles participaient seuls ceux qui devaient s'adonner au jeu.
Il faut bien reconnaître que le rôle du cheval n'avait rien de particulièrement glorieux. Mais il fallait bien un cheval pour supporter le poids du picador ! Celui-ci, prenant appui avec ses genoux sur les hanches de l'enfant-cheval, se tenant de la main à son épaule, devait provoquer le toro à l'aide d'un bâton allongé comme une pique. Or, sous peine de passer pour un manso, le toro n'avait d'autre ressource que de foncer - sinon l'enfant qui tenait le rôle du toro se fût senti déshonoré. Quand il chargeait de loin, cela devenait une vilaine affaire pour l'enfant-cheval, lequel s'exposait à encaisser un choc très violent. L'honneur de l'enfant-toro exigeait en effet qu'il culbutât cheval et picador, comme font les vrais toros dans l'arène.
L'imitation scrupuleuse de la corrida était poussée le plus loin possible. Il fallait un public, faisant cercle autour des jouteurs, un public dont l'élément féminin ne fût point absent - en l’occurrence, gamines à jupes courtes. Sur leur visage faussement ingénu, l'on discernait déjà les grimaces de la coquetterie. Elles suivaient les phases du jeu avec passion, prodigues de gestes (de réprobation ou d'encouragement) qui n'échappaient nullement aux toreros en herbe. Au contraire, ces gestes excitaient leur bravoure, et aussi leur instinct de faire du mal. On rencontrait jusqu'à des hommes adultes mêlés à cette jeunesse, approuvant ou désapprouvant ce qu'ils voyaient selon la réussite des enfants qui s'affrontaient, ne se privant pas de critiquer le toro lui-même, quand celui-ci manquait d'agressivité. "  

Antonio Diaz-Cañabate - Le monde magique des toreros - 1955

Los Olvidados - 1950 - Luis Buñuel


" Je m'amusais à toréer. Peu à peu, j'acquis même un certain prestige parmi les gaillards qui se réunissaient sous une arche du pont pour jouer au taureau. Je combattais tout ce qui se présentait : les chiens, les chaises, les voitures, les cyclistes. Je collais la demi-véronique aux angles des maisons, aux curés, à l'étoile du matin. Un après-midi où j'étais occupé à ces affaires, avec un ami qui chargeait avec beaucoup de conviction, quelques messieurs bien mis s'accoudèrent au parapet pour me regarder faire. L'un d'eux m'appela. J'accourus, fier comme un coq, ma casquette à la main.
« Dis-moi, petit, me demanda-t-il, où as-tu déjà toréé ?
- Nulle part, m'sieur ! »
Il  tira de la poche de son gilet une pièce de cinq pesetas, qu'il me tendit en disant :
« Tiens, c'est pour toi. Tu seras torero ! »
J'ai souvent repensé à ces cinq pesetas. J'aimerais bien savoir qui étais cet homme.
Ce premier argent gagné avec la cape consolida ma vocation de torero de salon. Je finis par devenir l'un des plus fameux combattants du quartier de Triana. Pourtant, il ne me serait jamais venu à l'esprit d'essayer avec un vrai taureau toutes les passes que je faisais aux gamins du coin. A vrai dire, je ne me croyais pas capable de me mettre devant un taureau. Aujourd'hui encore, j'ai du mal à concevoir que je peux avoir cette audace. Chaque fois que je suis aux arènes comme simple spectateur, j'ai la profonde ceritude, quand le fauve surgit, que je ne serais pas capable de le combattre.
Or, si on réfléchit un peu, voilà bien longtemps que j'ai démontré que j'avais quelques dispositions pour la tauromachie. "

Manuel Chaves Nogales - Juan Belmonte, matador de taureaux - 1970

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