jeudi 7 mai 2015

Evolutions

L'expectative

On ne peut y échapper, c'est devenu une manie, un gros tic, pire... un toc.
Aujourd'hui la plupart des novilleros et beaucoup  de toreros sont contaminés par un mimétisme qui s' inspire des vedettes.
Les deux premiers tercios sont sensés livrer beaucoup d'informations sur les qualités et défauts d'un taureau. Mais, bien que ces derniers, au fil des siècles, soient devenus de plus en plus prévisibles et que leurs comportements se soient lissés, le matador cultive la circonspection à ce moment particulier de l'affrontement, le début de faena. Et on assiste souvent au scénario suivant :

Première série : non loin des burladeros, on "pègue" quelques passes à distance, aidées le plus souvent, corne droite... corne gauche... Ok. Pause.

Deuxième série : la bête est fixée, on avance un peu et on se risque à quelques derechazos sur le bout du palo et en retrait. Ok, la bête est re-fixée. Pause, on va se replacer loin.

Troisième série : le matador s'est donc replacé à distance et tire-bouchonne le tissu sur l'ayuda. Il s'avance à pas comptés en balançant les hanches et en avançant le maxillaire inférieur sur le nœud de cravate avec un regard meurtrier qui glace les profanes. Il propose une série à droite. Ça passe.

Quatrième série : le matador, confiant dans les qualités du bestiau, se risque sur une série aidée à gauche. L'animal est noble. Applaudissements nourris.

Cinquième série : le matador est cette fois rassuré et vous régale d'une bonne série de naturelles avec double pecho.

A ce moment, sollicitée ou non, la présidence "lance" la musique... Frémissement dans le public... "Chouette, ça va commencer".

Sauf que c'est fini.
Et avec un Palha, un  Aguirre ou un Escolar, c'est fini depuis un bon moment. Quand les deux premiers tercios ont été longs et appliqués, un bon Cuadri n'a pas trente passes dans le ventre et, si on veut triompher, vaudrait mieux appuyer sur le champignon. 

Au lieu de cela on s'installe, on prend ses aises, on communique avec le callejon, on met de l'ordre dans les matériels, on se rafraichit, on avise, on évalue, on se débarrasse d'une banderille abandonnée, on desserre la chaquetilla, on ré-vérifie le positionnement du tissu, bref, on procrastine avec l'assurance d'un vieux maestro rondeño quand il faudrait mettre le feu, emporter le morceau, franchir les distances, se ruer sur la bravoure intacte... et soulever l'enthousiasme du conclave. Du moins si on aspire au succès.

Puis le spectacle s'étiole : le taureau baisse de rythme, ralentit, il s'avise, se réserve, s'arrête, se décompose, balance la corne, s'éloigne vers la barrière... et il va falloir penser à arrêter la musique car le matador a secoué la tête pour signifier sa déception d'être si mal servi par la loterie de la vie, s'en va chercher l'épée... déprimé tandis que votre voisin désolé voue l'éleveur  aux gémonies et incrimine le pienso, le manejo, les fundas et le réchauffement climatique.

Castaño est un spécialiste du genre mais il n'est pas isolé, loin s'en faut. Il a des prédécesseurs, des adeptes et des successeurs. L'exemple vient souvent de l'escalafon où les taureaux ne sont pas les mêmes et où les bregas sont réduites au minimum. Donc cette stratégie est pour eux payante. La musique est une petite partie du problème et vous observerez qu'au fil du temps elle perd sa fonction de remerciement et devient souvent un encouragement, ressentie même parfois comme signal d'un deuxième paragraphe dans la faena. Évolution  bien curieuse.

El Ubano

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire