"Mais il faut parler un peu du taureau. Souvent, en
sortant des arènes, on entend les aficionados commenter la bravoure de la
corrida, sans penser qu’il est très difficile de voir, non pas même une corrida
brave, mais un taureau vraiment brave. Sur ce sujet, nous-mêmes, éleveurs, nous
trompons énormément, et nos erreurs viennent de ce que nous ne voyons pas les
choses comme elles sont en réalité : cette réalité, c’est qu’il est
contraire à la nature que le taureau soit brave, au degré et au sens où nous
entendons ce mot pour la corrida. A mesure qu’il grandit, son instinct de
défense s’accroit, car il doit apprendre à attaquer et à se défendre dans ses
batailles avec ses propres compagnons ; et c’est là le danger des taureaux
qui ont dépassé leur cinquième printemps. C’est à ce moment qu’atteignent au
maximum leur intelligence ou leur instinct, et par conséquent leurs manies et
leurs connaissances, donc, leurs difficultés pour le torero.
Nous, éleveurs, partons d’habitude de cette erreur,
selon laquelle tous les taureaux ou presque, chargent : et bien !
c’est justement le contraire.
[...]
Étant donné leur manque de sélection,
les taureaux (je parle en termes généraux) constituent un très vaste monde au
caractère varié. A beaucoup de taureaux – je parle de TAUREAUX – il faut
apprendre à charger. Pour cela souvent il faut que le torero montre au taureau
qu’il a peur : il doit fuir pour donner confiance à son adversaire. Mais
attention ! Fuir peu, sans quoi nous en arrivonsà ce que vous avez pu
observer souvent : c’est qu’un taureau se jette inopinément sur un peon
qui se trouve mal placé, c’est-à-dire à l’endroit où le taureau voit la sortie
la plus facile. Alors, le peon n’a pas à demander son reste. Il est d’ailleurs
curieux de voir que lorsque ce même peon rentre dans la piste, dès que le
taureau le voit, même si alors l’homme et bien placé, il recommence la même
opération. C’est, naturellement, parce qu’il y trouve plus de facilité
puisqu’il croit, non sans raison, que cet individu-là a peur de lui. Tout ce
que pense le public, c’est que le taureau est pris d’une phobie, ou que la
couleur du costume ne lui plait pas.
C’est là une chose de la plus haute
importance dans le toreo : le torero doit le savoir, et il doit savoir
qu’on torée AUSSI en fuyant. Bien sûr, tout cela est plus complexe qu’il n’y
parait à première vue ; j’appellerais volontiers tout cela la
« superrègle », c’est-à-dire la somme des bonnes règles. Mais bref,
laissons ce problème…"
Domingo Ortega
Extrait de l'Art du Toreo - Conférence
prononcée à l'Athénée de Madrid le 29 mars 1950
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