Manuscrit de "Madrid" - Camilo José Cela - 1966 |
Le prestige de Madrid a peut-être pris du plomb dans l'aile
mais je persiste à croire que Madrid est Madrid et qu'il est bon d'y
épater les anciens (même s'ils n'ont pas de compte twitter) quand on est
ganadero et quand on est novillero. Hier soir, les zincs à la propreté
douteuse de Bocangel et Pedro Heredia accueillaient aimablement les
coudes de ces vieux abonnés mais aucun ne parlait de la novillada. C'est
comme ça. Il y a des courses dont on ne parle pas à la sortie, ni en
bien, ni en mal. C'est qu'elles ne sont assez mauvaises pour avoir envie
de se révolter, ni assez bonnes pour avoir envie de se la remémorer.
Des 3 Guadaira (dotés de petites têtes et vraiment
très laid le 3ème) et des 3 Montealto (mieux présentés), on peut retenir
le compliqué premier, le relativement encasté et querencioso 4ème. Fades et nobles les 2ème et 6ème. Insipides le 3 et le 5. Tous
insignifiants au cheval.
Román a fait montre de vaillance (et d'encore plus de
carences) à son exigeant premier qu'il se renvoyait sans cesse
dessus. Faena trop désordonnée et pas assez poderosa pour ce toro rétif.
Le gamin finit par mordre la poussière. Un sale moment à passer.
Silence douloureux mais pas humiliant. Il avait mis du coeur. Le
quatrième est sûrement celui du lot qui avait le plus de choses à
raconter. De nouveau Román m'étonne : il essaie mais parait comme démuni
techniquement (je m'attendais à l'inverse). Le compagnie de cette muleta
qui n'arrive pas à assumer ses décisions ni à terminer ses passes finit
par exaspérer le novillo qui ne tarde pas à prendre le dessus. J'espère que la sérieuse cuadrilla du futur matador saura
lui dire qu'il est passé à côté d'un bon toro de 3ème tiers. A
Madrid, ça n'se fait pas. Silence,
écrasant cette fois-ci.
Posada de Maravillas est à mon humble avis un novillero
très modeste que le public a trop tôt débarrassé de cette noble vertu.
Résultat : il use du capote en esthète puis s'efface devant l'ombre de
la bête en ponctuant toutes ses séries de gestes explicatifs destinés
au public allant du "Vous n'avez encore rien vu !" au "C'est pas moi,
c'est la faute du toro !". Aussi classe qu'un automobiliste parisien dans
les embouteillages et aussi ennuyeux que possible. Bajonazo et silence.
Il ondule de nouveau autour du 6ème, sans plus de bagage qu'à son
premier, triste parodie de lui-même. Silence.
A son premier adversaire, Gonzalo Caballero tire une vraie
passe pour 15 fausses et réussit à faire applaudir à l'arrastre un
manso, noble mais sans classe. De la graine de figura ! Il a le desplante sobre, manie avec
une science éprouvée le pico, mais sait se placer. De la graine de figura
vous dis-je ! Demain, quand il sera figura donc, entre le chèque et
l'engagement, je crains que son cœur ne balance pas longtemps. Salut au
tiers après une épée bien envoyée. Je ne peux rien avancer en ce qui
concerne son second combat pour cause de retrouvailles inopinées avec un
vieil ami. Je peux toutefois affirmer que notre conversation n'a pas
été interrompue par le moindre "olé" (ni par le moindre sifflet
d'ailleurs). Silence, donc.
Avec D., on a eu tout loisir de tomber d'accord sur le fait
que le monde était bien petit, on a regardé le dernier Montealto d'un
oeil distrait, et on est allé boire des coups du côté des rues de Bocangel et Pedro Heredia, accoudés à des zincs à la
propreté douteuse. On n'a pas parlé de la course. Il n'y avait pas
grand-chose à en dire, si ce n'est que Madrid n'est plus Madrid...
Zanzibar
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