" Il est bien étrange d’entendre les aficionados se lamenter
sur l’état actuel de la fiesta. Moi je leur dirais : Mais comment
pouvez-vous vous en étonner ? Croyez-vous que cette situation est née par
génération spontanée ? Non, Messieurs : elle a eu son évolution, et
vous avez dans cette évolution une grande responsabilité. Je dis : une
grande responsabilité, parce qu’il ne serait pas juste de vous l’attribuer tout
entière. Mais en vérité, je ne sais s’il existe aujourd’hui des aficionados. En
tous cas, s’ils existent, ils se sont laissés emportés par la masse. Sûrement
parce que la vie comporte des problèmes plus importants que l’aficion, même
pour les plus passionnés. Mais laissons : cette erreur non plus ne date
pas d’hier, à mon avis, mais de quelques trente ou quarante ans.
Je tiens les aficionados pour coupables, parce qu’ils n’ont
pas été conséquents avec eux-mêmes dans leurs convictions ; probablement
parce qu’ils ont pris parti pour des personnalités de toreros, mais que jamais
ou presque ils n’ont pris conscience des bonnes règles de l’art du toreo. S’ils
avaient connu ces règles, ils n’auraient pas passé tant de mauvais moments ni
dépensé tant d’argent aux arènes, sans veiller au maintien et à l’intégrité du
toreo…
[…] Les aficionados portent une grande responsabilité, parce
qu’ils ne sont pas restés fidèles à la règle classique : Para, Templar, Mandar.
A mon avis d’ailleurs, cette formule devrait se compléter
ainsi : Parar, Templar, Cargar, Mandar. Il se peut en effet, que, si le mot «
charger » s’était ajouté aux trois autres depuis le moment où ils sont passés à
l’état de règle, le toreo n’aurait pas dévié autant qu’il l’a fait. Mais je
pense aussi que l’auteur de cette formule ne croyait pas nécessaire d’ajouter
ce mot, car il devait savoir très bien que, sans charger la suerte, on ne peut
« mandar », et que, par conséquent, ce dernier terme incluait les deux idées.
Il est bien entendu que charger la suerte ne consiste pas à
ouvrir le compas : en ouvrant le compas, le torero « allonge », mais «
n’approfondit pas ». La profondeur, il l’atteindra en avançant la jambe par
devant, et non pas par le côté.
Parar, Templar, Mandar ? Les mots ne sont rien : ces idées
se confondent tellement ! La majorité croit que parar, templar et mandar, c’est
attendre que les taureaux viennent se jeter sur la cible, sans que le torero
fasse un geste : c’est une erreur. Parce que si l’on « pare », on ne peut ni «
templar », ni encore moins « mandar ». C’est quand les taureaux ont le plus de
puissance qu’ils exigent l’application de ces trois règles. Et il est bien
curieux qu’aujourd’hui, où, d’après tant et tant d’aficionados, on torée mieux
que jamais, il y ait bien peu de taureaux qu’on torée de cape. Pourquoi donc,
si vraiment on toréait mieux que jamais ? Mais c’est très simple : parce qu’on
a abandonné la conception qu’expriment ces règles. Par conséquent, on ne torée
pas, on donne des passes. Ça oui, beaucoup de passes ! "
Domingo Ortega
Extrait de l'Art du Toreo - Conférence prononcée à l'Athénée de Madrid le 29 mars 1950
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