Il est 20h20. Ils se précipitent
pour faire bloc autour de lui. Roberto, Victor, Miguel, Pedro, Jesus, Diego,
Curro, Alberto et l’excellent Javier engloutissent Ivan comme pour le protéger de
la douleur du public. Ça va très vite. Déjà, ils ont disparu. Et nous on reste
là, amers et très décontenancés. Certains sifflent, d’autres restent les bras
ballants. Un monsieur derrière moi fredonne quelques notes, une espèce de blues
espagnol, presque du flamenco. Moi qui ne sais ni chanter, ni siffler,
j'applaudis avec le plus de tristesse possible. Un tel crève-cœur explique
aussi les coussins : on n’a pas tous la même manière de pleurer. Il est
20h20 et c’est la fin d’une belle histoire mal racontée.
Le torero (n’importe quel torero,
y compris les baronnets, y compris les mauvais) n’est pas un homme ordinaire. Et
le torero qui fait un geste n’est pas un torero ordinaire. Et ça n'est pas
chose ordinaire que de se mettre seul devant 6 toros différents et possiblement
très difficiles, à Las Ventas, aux premiers jours de la temporada. Avec ce « geste » Fandiño a convoqué l’aficion du monde entier et, samedi soir,
une obscure ferveur envahissait les rues de Madrid. On ne pouvait s’empêcher
de regarder les passants droit dans les yeux en se demandant si eux aussi étaient là pour « ça ». Souvent, c’était le cas… Dans ce contexte,
l’intermède des niquedouilles vertes au moment du paseo n’en a paru que plus
imbécile.
Il est 17h59. Fandiño n'est pas
ignorant de l'histoire et il veut en écrire une nouvelle page ce soir. Il l’a
annoncé et on a adoré le croire. Il y a beau temps qu’on a cessé d’ergoter sur
le bien-fondé du « seul contre 6 ». Quoi qu’il se passe, on veut en
être. Bien sûr, on ne manque pas de savoir et de faire savoir bien fort qu’il y a de
fortes chances qu’on aille au-devant d’une grande désillusion ; moins pour conjurer
le sort d’ailleurs que pour essayer d’apporter un peu de rationalité à nos
extravagances respectives (les kilomètres parcourus par les uns, les bérets
d'Euskadi achetés en hommage par les autres, et même les gradas payées par les occupants habituels du callejon !).
Il est 20h20. Les 6 toros ont
passé mais la question subsiste : pourquoi Fandiño n’a-t-il pas livré bataille quand il y avait matière à combattre ?
Il est 17h59. Le soleil charrie
les premières odeurs de printemps et tous les gens présents ont tourné le dos à
la vie quotidienne. Les hommes portent beau, les dames sentent très bon. Il
y a de la jeunesse dans l'air et dans les gradins. Fandiño s’avance seul sur le ruedo. Sur ses épaules, tout le poids d'une légende à écrire. Celui-ci
est venu revendiquer passionnément son aficion
sous nos yeux et nous le lui avons bien rendu. C’est très intimidant.
Il est 20h20. Je me demande bien quels
mots je vais pouvoir mettre sur cette course, mais je sais déjà que je vais les
dédier à celle qui a souvent eu l’occasion de me dire : "N'oublie jamais
ma chérie que le meilleur moment, c'est en montant l'escalier".
Il est 20h21 et après. De belles rencontres en retrouvailles, on passe une merveilleuse soirée...
Fandiño est torero. Un peu plus torero que beaucoup d’autres. Et
malgré ses évidentes limites, il convient de se rappeler sa vaillance et de lui accorder
un goût certain pour l'aventure et la conquête. Il serait étonnant qu’il se
contente de cette défaite. Ceux qui seront à la miurada sévillane pourraient avoir une belle surprise...
Zanzibar (& Bertrand Caritey aux images)
NB : corrida vue avec mes vrais yeux et pas avec ceux du cameraman de Canal + Toros
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