Ce sont les images des toros de Garcigrande & Domingo Hernandez toréés à Pampelune la semaine passée par le funeste Juli qui me les ont rappelés... ces "toros de pitié"... ceux dont parlait Joseph Peyré, dans le Figaro Littéraire, en 1950.
Le texte est un peu long mais ne saurait de quelque manière être tronqué puisque, à l'instar des cornes des toros, c'est intégral et intact qu'il trouve sa splendeur, sa grandeur, et sa puissance.
Il est publié en deux parties. En voici la première.
Il est publié en deux parties. En voici la première.
§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§
Une du Figaro Littéraire du 29 avril 1950 |
J’ai sous les yeux, parmi bien d’autres, la récente
photographie d’une vedette illustre en train de tourner le dos au taureau, pour
prendre le public à témoin de sa domination – les vedettes ont maintenant cette
manie de regarder même au cours d’une passe, la foules des gradins au lieu de
la corne, et donnent l’impression que c’est le public qu’elles toréent. Mais le
matador de la photographie n’a guère, on le sent, de mérite à négliger son
adversaire époumoné, et à lui tourner le dos comme il le fait. En effet, le
menu taureau enfantin qui halète derrière lui, mufle au sol et la bouche
ouverte, parait chercher un air qui manque à sa poitrine étroite plutôt que
ruminer quelque coup de Jarnac. D’ailleurs la légende elle-même précise que le
taurillon était faible de jambes, et que le matador, « assez valeureux
pour avoir réclamé le passage aux banderilles après une seule pique », a
eu beaucoup de mal à l’empêcher de s’affaler dès le début de la faena de muleta.
Etrange soin que ce souci du matador de maintenir le taureau sur ses pattes. On
comprend qu’il ait écourté l’acte de piques, et fait passer aux banderilles,
pour avoir encore quelque chose devant lui à l’heure de la muleta. La foule,
elle non plus, n’entend pas être frustrée, et il arrive à certains spectateurs,
anxieux d’admirer la faena attendue, de crier à l’adresse du matador : «
Fais attention, il va tomber ! », cri lui aussi assez nouveau.
On en était là à la fin de la saison dernière. C’est
pourquoi les gens réagissent et réclament des taureaux capables de tenir debout
tout le temps nécessaire et, de donner du mal aux vedettes à gros cachet. L’exigence
est on ne peut plus juste mais elle ne se fonde pas uniquement sur le spectacle
qu’on peut attendre d’un acteur grassement payé. Il y va de bien plus, et non
seulement de la vertu de la corrida, mais de sa justification. C’est ici ce qui
me préoccupe. Le drame de l’arène postule en effet l’intégrité du fauve, et la plénitude
de son pouvoir. Or, l’amoindrissement du taureau, et donc son affaiblissement,
qu’il joue sur l’âge ou sur le poids, n’a pas cessé de se poursuivre, et à un
rythme accéléré. Voici trente ans que l’âge exigé du taureau de combat a été
ramené de cinq à quatre ans. Quant au poids, les ordonnances l’ont réduit à
plusieurs reprises – entérinant d’ailleurs un état de chose préexistant – et sous
le premier prétexte venu, fut-ce celui de la dernière sécheresse. Je n’entre
pas ici dans des chiffres qui n’ont de sens que pour les initiés, mais c’est
ainsi qu’on aboutit au type de taureaux dont je parlais plus haut. Ou encore, à
celui que le matador torée de cape à la Corrida de la Presse de l’an dernier, à
Madrid, dans une autre feuille illustrée, et qui a tout l’air d’une vachette.
Le chroniqueur de la journée croyait d’ailleurs devoir signaler comme rares la
corpulence et la puissance du sixième taureau qui pourtant autrefois eut à
peine atteint la limite. Il soulignait que celui-ci « assaillit avec force
les picadors et provoquait des chutes ». Où est le temps d’un « Lobito »
capable d’attaquer 21 fois de suite, d’abattre 13 fois picador et monture, et
de laisser au sable 9 chevaux ?
Joseph Peyré –
Défense de la corrida – Texte publié dans le Figaro Littéraire du samedi 29
avril 1950
Au-delà de l'intérêt de ce texte (Peyré développera le sujet dans son roman "Guadalquivir"), ce qui est stupéfiant aujourd'hui, c'est de trouver un tel papier en 1ère page du Figaro Littéraire...
RépondreSupprimer2 mois avant le vote de la Loi Grammont...
RépondreSupprimer