La place du quartier de Pichk'achuri est plus grande que la Place
d'Armes de Lima. Pour la corrida du 28 juillet, les indiens en bloquent les issues
avec des barrières d'eucalyptus. Les notables suivent la course installés aux
balcons des bâtisses environnantes ou dans les loges construites à cet effet par
ces mêmes indiens, indigènes « démunis et attardés » qui, eux, sont
tassés sur les toits, agrippés aux murs, ou encore, sur le ruedo ou ce qui se veut tel.
Chaque 28 juillet, à Puquio, au Pérou, il y a course avec 10 ou 12
taureaux et, pour les toréer, des dizaines d’indiens hargneux et orgueilleux qui
viennent revendiquer la suprématie de leur communauté.
Il n'y a pas de burladeros.
Ce qui en tient lieu, c'est un trou creusé au milieu de la place. Les hommes
s'y jettent les uns sur les autres lorsqu'ils sont en trop grand danger. Le
taureau les attend au bord et attrape ceux qui ne courent pas assez vite. Les
indiens ne toréent pas : ils s'attaquent au taureau avec la hardiesse de ceux qui
ont forcément trop bu.
Chaque 28 juillet, à Puquio, au Pérou, il y a des morts et tout le
monde, les notables, les métisses blancs, les métisses noirs, les femmes, les sorciers,
les enfants, l’esprit divin des sommets des Andes et les curés, tout le monde
dis-je, est ravi de ces jeux sanglants.
Mais cette année, le gouvernement a interdit l'organisation de corrida
sans la présence d'un torero professionnel. C'est la fin d'une coutume, la fin
d'une tuerie ritualisée, le début d'une régence. On applaudit hypocritement la décision et on accueille
Ibarito II, un torero venu de Lima, ancien banderillero, ancien espagnol. Ceci dit, lbarito n'aime pas toréer
dans les villages de la sierra : les taureaux qui y sont présentés ont déjà terrassés
plusieurs hommes ; sinon, c'est qu'ils ont été dynamités.
Chaque 28 juillet, à Puquio, au Pérou, il y a course avec 10 ou 12
taureaux, je l’ai déjà dit, mais cette année, c’est un peu différent : non seulement il y aura un torero professionnel mais en plus, parmi
les taureaux de la fête, il y aura le Misitu.
Le Misitu vit dans la montagne. On dit qu'il n'a ni père ni mère, qu’il est né d'un lac. Lors d'un orage, les éclairs ont frappé l'eau qui
s'est mise à bouillonner – il parait même que de petites iles ont disparu
pendant la tourmente - et le Misitu a surgi d'un tourbillon de pluie, il a nagé
jusqu'à la rive et, depuis, il règne en maître sur tout un territoire où ne
cessent de bruire des légendes le concernant. Il se dit que le Misitu encorne
son ombre, qu'il défie le soleil le jour et s'attaque à la lune, la nuit. C'est un
demi-dieu. Il est infatigable, d'une sauvagerie et d'une force
incommensurables. Quand il court, « on dirait une église ».
Cette année, au Pérou, tous les indiens de la région déboulent à
Puquio pour voir combattre le Misitu. Ils ne savent pas que seul le torero de
Lima a officiellement le droit de toréer. L’attente est à son comble, l’émotion
intense, et l’enjeu serait considérable s’il n’était si ridicule.
Voilà. C’est cette histoire que raconte en 1941 José María
Arguedas dans son Yawar Fiesta (La fête du sang), édité en français chez
Métailié en 2001. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit d’un roman taurin :
le bref affrontement final ne couvre pas 10 pages. La tauromachie ou ce qui en tient
lieu n’est ici qu’un prétexte. Yawar Fiesta est avant tout l’occasion de
découvrir un pays par le prisme de ses luttes : celle de la tradition
contre la modernité, celle des peuplades exploitées contre les conquérants arrogants,
celle de la superstition contre la raison, celle de la gratuité contre celle du
pognon.
C’est très étonnant. C'est vraiment bien.
C’est très étonnant. C'est vraiment bien.
Zanzibar
Ca donne envie d'attendre la sortie du film ;)
RépondreSupprimerJe plaisante, mais il y a de quoi faire quelque chose de très visuel à partir de cette histoire.
En fait, Luis Figueroa a adapté le roman au cinéma en 1986 (date Imdb). Aussi étonnant que ça puisse paraitre, le dvd n'est pas au catalogue de la médiathèque du Mans, du coup, je n'ai aucune idée de ce que ça donne...
RépondreSupprimerLe livre est introuvable, c'est dommage car cet article donne bien envie de le lire. Cordialement. AP
RépondreSupprimerIl est peut-etre en rupture de stock chez l'éditeur, je ne sais, pas mais il est disponible d'occasion pour 5 euros sur priceminister. En revanche, suite au commentaire de Olivier j'ai essayé de trouver le dvd mais là, ça se complique sérieusement...
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